Moussem de Moulay Abdallah ou la saga des Béni Amghar
Moussem de Moulay Abdallah ou la saga des Béni Amghar Par Mouna Hachim Si les citadins peuvent se réjouir de leurs vivifiants festivals urbains de renommée internationale symboles d’ouverture et de
création; la campagne marocaine, dans son exubérante diversité, produit à son tour, pour ceux qui veulent bien capter leurs vibrations, des centaines d’antiques Moussems à travers le Royaume.
Chaque été, suivant un rythme cyclique agraire, le monde rural se laisse aller à des pratiques festives, couronnant une année de labeur, rompant avec la régularité de la vie quotidienne, cimentant
les liens sociaux, affirmant l’identité locale et collective. Au centre de ces réjouissances se trouve le Moussem, littéralement saison, célébré anciennement selon le calendrier julien, dit Filahi
(agricole). A l’instar des fêtes patronales courantes à travers la Méditerranée, celui-ci a pour particularité de commémorer la mémoire d’un saint-patron et de mêler coutumes religieuses et
profanes, activités festives et commerciales. L’un des plus somptueux et des plus populaires est le Moussem de Moulay Abdallah Amghar avec les démonstrations de ses fauconniers, les dithyrambes de
ses chansonniers, les Tbourida de ses cavaliers et ses chevaux de fantasia fastueusement harnachés… Organisé à Doukkala, dans la région d’El Jadida, à l’emplacement d’un antique bourg côtier appelé
en amazigh Tit n’Fitr, autour du sanctuaire et zaouïa de Moulay Abdallah, il nous offre, au-delà de la célébration, l’opportunité d’une chevauchée dans la mémoire des hommes à la découverte de la
saga des ancêtres fondateurs. Moines-guerriers, mystiques exaltés ou doctes savants, mais quels sont donc ces hommes qui continuent à drainer autant les foules? Derrière les mythes et les légendes
tissées, écumant les siècles, quels furent donc leurs enseignements et leur véritable destin? Comment réussir le pari de nous nourrir, dans l’absolu, de notre richesse patrimoniale, évitant de nous
retrouver avec une coquille creuse, ignorante d’elle-même, victime des préjugés et de la folklorisation? C’est à la fin du Xe siècle que commence notre épopée, lorsque l’ancêtre familial, l’ascète
Moulay Ismaïl, s’établit en ces lieux, au bord de la mer, au sein d’une tribu amazighe sanhajienne de Doukkala. Il est surnommé Amghar, en berbère «le patriarche», par extension «le chef» qui peut
être soit un chef politique doté de pouvoir exécutif nommé par une assemblée des anciens (sorte de Sénat) soit un chef spirituel, si ce n’est les deux à la fois. C’est à lui qu’est attribuée la
fondation du Ribat maritime de Tit en tant qu’institution militaire, éducative et religieuse fortifiée, vouée à l’instruction et au combat contre la secte hétérodoxe des Berghouata. Mais c’est
surtout à partir du règne de son petit-fils, le grand savant et mystique Abou Abdallah Amghar dont ce Moussem estival porte le nom que le Ribat de Tit s’imposa progressivement en tant que capitale
provinciale au rôle économique et politique attesté, notamment dans l’arbitrage au sein de la communauté et la médiation avec le pouvoir central, ainsi que de centre religieux, fréquenté de toutes
parts à travers les siècles par des cheikhs de renom. Parmi eux: Abou-Chouaïb Sariya (plus connu sous le nom de Moulay Bouchaïb, inhumé vers 1166 à Azemmour), Abi-l-Abbas Sebti (dit Sidi Bel-Abbès,
un des sept saints de Marrakech où il est inhumé en 1204), l’Imam Abou Mohamed Salih Majiri (mort à Safi en 1251), Sidi Moussa Doukkali dont le sanctuaire jouit d’une belle renommée à Salé… Une
vocation qui se poursuit avec son propre petit-fils et homonyme Abou-Abdallah Amghar, dit Seghir (le cadet). Initié au chadilisme par Sidi Saïd Aretnou Regragui, il fut à son tour le maître
spirituel du grand prédicateur Soulaymane Jazouli qui reçut ses enseignements durant quatorze ans au Ribat de Tit avant de fonder sa voie mystique, restauratrice de la chadiliya dont les filiales
se ramifièrent aux quatre coins du Royaume avec pour mots d’ordre la guerre sainte contre les occupants ibères. Face aux Portugais qui menaçaient dans une offensive Reconquista les côtes du
Royaume, les Amghariyin se vouèrent au combat dans la mouvance de la jazouliya. Mais en 1508, la ville voisine d’Azemmour tombait sous la coupe des Portugais, avant que le glas ne sonne pour Tit
qui se soumit cinq années plus tard. Cette vicissitude de l’histoire provoqua sa destruction et la déportation de ses habitants dans la région de Fès par le sultan wattasside Mohamed, surnommé
El-Bourtoughali (pour avoir séjourné dans les prisons portugaises). Les Amghariyin ne firent alors que prolonger davantage leurs ramifications vers d’autres régions du pays, notamment à Afoughal
(chez les Haha); à Tazzarine (dans le Draâ); à Assoul (au Tafilalet), à Bzou au Grand-Atlas… C’est en ces derniers lieux, précisément chez les Ntifa, que vit le jour le soufi et savant Sidi
Abdallah ben Hssayn, surnommé «L’homme aux trois cent soixante six sciences». Il est le fondateur entre 1520 et 1530 de la célèbre zaouïa de Tameslouht dans les environs de Marrakech où il
s’illustra pour ses nombreux bienfaits. Son petit-fils Ibrahim ben Ahmed Mghari, surnommé Tayr Jbel (L’Oiseau de la montagne) quitta cette zaouïa familiale après un différend avec le sultan Moulay
Zidane pour s’établir au village de Kik, connu depuis sous le nom de Moulay Brahim. C’est également de Tameslouht que revint dans le Doukkala des ancêtres, Abd-es-Salam ben Saïd, fondateur au XVIIe
siècle de la zaouïa Sayssiya chez les Oulad Messaoud (fraction des Oulad Bouâziz) sur l’emplacement d’une forteresse caïdale ancienne, dite Asays. C’est pour dire l’aura des Béni Amghar, adeptes de
l’orthodoxie sunnite malikite, fondateurs d’une des premières confréries marocaines d’obédience chadilite, rayonnants par leur mysticisme et par leur érudition, au point que les chroniqueurs
anciens les rangeaient parmi les plus grandes familles du pays dont les membres héritaient de la vertu, comme d’autres hériteraient de la fortune. On n’en saisit que davantage la valeur de symbole
de ces lieux de mémoire comme espaces de paix et de communion qui s’obstinent malgré l’éclatement des structures communautaires ancestrales à perpétuer le souvenir et à nous interpeller en tant que
source d’inspiration et passerelle vers des jaillissements futurs. Car créer des nouveautés, c’est assurément bien; réhabiliter pleinement les anciennes, là est le véritable défi. Envoyer à un
amiImprimer cet article Casablanca Résorption du bidonville «Douar Slibat» © http://www.leconomiste.com/
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